Ce post pour exprimer mon incompréhension.
Je lis régulièrement le blog d'Agnès Maillard. Pas trop souvent, mais régulièrement. Dans leur globalité, je partage ses points de vues. Peut-être pas tous, mais une immense partie.
Or, à chaque lecture, je suis toujours choquée. La violence de ses propos me choque, et je ne comprends pas pourquoi. Si je lis CSP, je ne suis pas choquée, probablement à cause du style, un chouia trop outrancier, et qui l'emporte, curieusement, sur le fond (à mes yeux). Le côté râleur de CSP m'amuse, même si dès que je le lis, je pense à Lénine, Staline et Béria, au fond, je n'y crois pas, je suis emportée par les mots. Par l'énergie. CSP écrit des textes vivifiants. Vibrants.
Bon, revenons à
Agnès Maillard. Quelque chose que je ne saurais expliquer, il faudrait faire une analyse de texte pour le comprendre, me fait la trouver au fond sympathique. Et pourtant.
Soit son dernier texte. Il est imagé, s'adressent aux émotions, dramatique. En soi, je l'aime bien. Mais parce qu'il a été écrit aujourd'hui, en septembre 2009, j'ai honte de lire ça. Je m'explique. Agnès Maillard est en France. Quand je pense à certains villages que j'ai traversé dans des pays proches du Sahara, je rougis, car écrire ce texte quand certaines choses existent, me semble choquant.
Pourtant je sais bien que Agnès écrit de France pour la France. Que, dans son sentiment, dans son coeur, elle n'exclut pas les malheureux du reste du monde. Au contraire. Je suis convaincue qu'elle pense aussi à eux, voire qu'elle s'identifie à eux.
Par ailleurs, je pense qu'elle doit avoir une vie difficile, dont j'ai été préservée, même si ma vie n'est pas luxueuse, je ne manque de rien, pourvu que ça dure. Mes enfants non plus ne manquent de rien, mon mari a un travail, je me débats pour travailler moi-même (en changeant de lieu de résidence tous les moins de deux ans, pas facile). Nous allons encore changer, pour un truc "mieux", qui devrait d'ailleurs être vraiment mieux, après 15 ans il est temps. Mais même si ça n'est pas mieux, ça sera bien, et ça va comme ça.
Serai-je amère si j'avais eu de tas de périodes de chômage et tout ça ? Je suppose que c'est ce qui est arrivé à Agnès. Moi, quand j'étais étudiante et que je travaillais, j'avais des amis gosses de riches qui me regardaient comme une petite rigolote (pourquoi elle travaille, elle? ) et d'autres amis pas gosse de riches mais dont les parents payaient les études quand même et qui étaient sérieux et trouvaient vite un boulot qui me regardaient quand même bizarrement car travailler et faire ses études c'était bizarre. Insolite. A leurs yeux. Quand ils parlaient de leurs futurs salaires, je ne disais rien et je n'y croyais pas. Et dans leurs premiers boulots, ils s'en allaient d'un air méprisants, car on ne les payaient pas assez. Ils étaient si sûrs que ça allaient marcher. Moi, qui me contentais de mes salaires pas terribles, j'avais peut-être une âme de mouton. J'aurais peut-être du me révolter. Mais entre les heures de bibliothèques, le boulot et mes sorties, je n'avais pas le temps. Je courais toute la journée, mais j'étais contente. Pourquoi je dis ça ? Car ces regards sur moi, la pauvre qui bosse, je les trouvais humiliants. Et d'autant plus que j'aimais travailler pendant mes études : je n'étais pas dans le besoin à ce point, mais je faisais ça pour ne rien demander à mes parents, ma mère m'ayant fait quelques remarques désagréables. J'étais très contente de les narguer avec mes salaires. J'aimais bien me la jouer : tout est super facile, je n'ai même pas besoin de votre argent, ah ah ah. Comme les revenus de mes parents baissaient, je pouvais dire à ma mère : "Garde ton argent pour vous, moi, je me débrouille". Je me sentais à la fois libre et je sentais le filet de l'amour maternel glisser sur moi : elle ne pouvait pas m'avoir. Ils ne me donnaient pas un sou, et ça, c'était merveilleux. D'autant plus que ma mère faisait sa princesse, mais mon père gagnait les me^mes salaires que moi (le pauvre n'a jamais été doué, il avait des bons boulots, mais il les a perdu, et il a refusé, j'en enrage encore, des opportunités excellentes). Donc
Bon. Bref. Encore que vu qu'au fond, Agnès Maillard évoque l'emploi, c'est peut-être pour cela que cela me met les nerfs à vif. Très vite, j'ai trouvé des boulots, des "petits boulots", et jonglé avec. Au fond, j'en suis toujours là, je n'ai guère progressé. Vu que ces petits boulots sont pour moi le synonyme de liberté, je n'aime pas l'image qu'elle en donne.
Quand je lis son texte, je me dis qu'elle doit travailler et toujours être coincée, et par le temps, et par l'argent, tel mois il y a ça à payer, le mois suivant c'est autre chose. Ce que je comprends. Cet été, mon mari n'a pas eu de vêtements d'été, il tourne avec un seul pantalon court et ça fait short. Moi aussi j'enrage un peu car ce mois-ci ce sont les livres scoalries, ils sont 30 % plus chers que ceux que j'achetais dans le système français et il n'y a pas de bourses aux livres. Et ilf aut faire des réparations à la voiture. Et le mois suivant, on a l'assurance de la voiture. La somme est d'importance. Si Agnès a des revenus inférieurs aux miens, comme une de mes amies qui a 1200 euros pour vivre ( à 4, en France) , ça doit être un cauchemar. 1200 euros, c'est "trop" pour les aides. Trop.
Mais quand je lis le texte je me dis que c'est trop. La richesse de la France, dont chaque personne bénéficie, elle est là, dehors. Même les rues sont chics. Ici, les rues sont plus moches. Les poubelles sont extérieures, ce sont des poubelles de quartiers. En France, je me demande où ils planquent les poubelles. Et ne parlons pas de celles du pays où j'étais auparavant. Les bibliothèques municipales. Les magasins qui regorgent de produits dont même les plus basiques sont bons. Mais évidemment, pour le savoir il faut avoir été ailleurs, dans un ailleurs peu favorisés.
Le texte s'appliquerait à des mineurs au Brésil, dans son intensité. Mais pas à des Français. Ou ailleurs, à une catégorie très défavorisée, mais le texte suggère plutôt une uniformité, les gens sont comparés à des souris, tous, et non pas à des souris par référence à des gens plus chanceux qui vivraient ailleurs. On imagine une sorte de monde dans lequel tous sont égaux dans leur cage, occupés à survivre en silence et dans la peine.
Si c'est ce qu'Agnès ressent, je trouve cela indécent par rapport à ce qu'il y a ailleurs. Mais je sais qu'Agnès ne peut pêut-être (je dis peut-être car je ne connais pas sa vie) pas comparer, si je puis dire, de l'intérieur, pour l'avoir vécu, ce que c'est que de vivre dans des pays où l'arbitraire frappe tout le monde, sauf une toute petite caste de privilégiés (et ce n'est pas le cas de la France, ni de l'Europe occidentale).
Hier une amie venue d'un pays de ce genre est arrivée en Europe. Elle a vécu cela comme la sortie, non pas d'un enfer, car sa vie n'était pas infernale, mais d'un camp de prisonnier où la vie est supportable, mais on est enfermé. ça l'amuse et lui paraît un peu bête quand des Européens lui disent que leur pays, soit la France de Sarko, soit l'Allemagne de Merkel, c'est comme chez elle. Elle dit juste oui oui en rigolant, car elle est gênée, mais ils ne savent pas ce qu'ils disent. "En France, tout n'est pas parfait," disent-ils, et elle le sait, ayant été en butte à des attitudes racistes.
Mais ce qui est grave c'est qu'Agnès est sincère. Son texte vient du coeur. Elle croit vraiment vivre un enfer (un enfer intellectuel, disons, et matériel) ; ou bien si l'on parle avec elle, elle se dit que c'est pire en Inde. Mais l'Inde c'est tellement pire que l'on en parle pas. Sauf que l'Inde, c'est un 5ème du Monde. Pas un petit 100ème. Si les Privilégiés se sentent si malheureux, incapable de ressentir, dans leur vie, dans leur chair, leurs privilèges... ils ne demeureront pas privilégiés longtemps. D'autres leur rafleront leur chance. Et ça ne sera que justice.
Ce qui me gêne, dans cette attitude, c'est le regard des autres, ceux qui sont ailleurs. Ceux qui disent, goguenards "voyez comme votre civilisation ne vous rend pas heureux ! vous feriez mieux de revenir aux bases" et je sais à quelles bases, religieuses, ils pensent. Leurs yeux moqueurs m'exaspèrent.
Après relecture : quelles lourdeurs dans mon style ! Il fut un temps où j'écrivais mieux. Enfin peu importe. Assumons.