lundi 9 novembre 2009

Ah au fait....

.. on ne part pas. J'en suis toute chose. Contente, mais perturbée : je m'y étais si bien préparée...

Gwenaelle Aubry

... a obtenu le Femina pour son livre, personne, que j'ai lu et beaucoup apprécié. Il me semblait avoir des accents de vérités surprenants, surtout dans la mesure où l'on n'invente pas une histoire pareille, mais comme elle a eu le Fémina je découvre que ça n'est en effet pas tout à fait un roman.

Comme c'est étrange. Stupide? Aberrant ? d'être plus émue par une histoire vraie qu'un roman. Ou émue autrement ? Cette nouvelle me permet de comprendre la façon dont j'ai aimé ce livre ; ce n'est pas un texte littéraire, bien qu'il soit écrit ; c'est un texte humain.

En le lisant il m'est venue une idée assez étrange : est-ce que la façon dont nous regardons les autres n'influe pas sur eux ? Si je regardais autrement ma famille (j'ai déjà parfois joué à le faire) ils nous paraîtraient plus aimables. Le regard de Gwenaelle sur son père, dans ce texte, semble plein de tolérance et d'amour et je n'ai pu m'empêcher de l'admirer.

En disant que la façon dont nous regardons les autres infle sur eux, je me suis mal exprimée : j'avais un point de vue plus décisif encore : si je réussissais à construite un texte positif mettant en scène ma famille sous le bon angle, ne les aimerai-je pas plus ? j'ai déjà joué à ce petit jeu troublant avec l'un des membres de ma famille.

En fait je me suis piégée à ce jeu. Voici comment. Je parlais de cette personne (appelons là Béa) à une certaine Emma. En la décrivant, j'ai dit par exemple qu'elle était une des personne que je connais qui profite le mieux de la vie, avec quelque chose de proustien : Béa prépare son repas, dresse la table pour elle toute seule coquettement, se sert le repas, et se comporte comme si elle était elle même la cusinière et la servante et la maîtresse de maison qui déguste le plat. Son repas fini et même dégusté, avec plaisir, elle débarrasse vite, nettoie et range tout. Puis s'assied dans son fauteuil, pousse un soupir d'aise et se met à lire. Elle a un joli appartment bien décoré et n'achète que très peu de choses, puisqu'elle a déjà tout ce qu'il lui faut : c'est à dire non pas "tout" mais suffisamment. Sa vaisselle est belle, ses nappes aussi... Et tandis que je parlais à Emma, une image proustienne, justement, de Béa se formait, une femme bourgeoise, mais sans excès, vivant dans une sorte de simplicité luxueuse (car c'est l'impression que l'on a chez elle : une terrible impression de luxe, alors que tout ce qu'elle a a été acheté il y a longtemps et n'est donc pas de ce luxe actuel qui consiste à avoir les trucs dernier cri). En fait, elle vit, si je puis dire, dans le vrai luxe, puisqu'elle n'a plus besoin de rien.

Au fur et à mesure que je parlais, je me rendais compte que je ne pouvais pas dire à Emma qui était réellement Bea. Non pas que cela me soit impossible ; mais, alors même que je parlais, que je multipliais les exemples, que j'enrichissais ma description, les mots, au sortir de mes lèvres, prenaient un autre sens que je ne maîtrisais plus. Emma était remplie d'admiration pour ma tante ; par la suite, il en a été de même pour tout ceux qui l'ont rencontré : avec ma description et son attitude, Béa semble un archétype de femme bourgeoise simple et dynamique. Son racisme et ses valeurs d'extrême droite sont totalement masquées. Mieux, ce sont presque les autres qui me l'ont fait voir autrement.

Idem, quoique moins net avec mon père, qu'une de mes amies au moins prend pour un doux rêveur, une sorte de monsieur charmant. Moins net, car je l'évoque peu, il m'insupporte totalement. Alors que je suis estomaquée et furieuse de son aveuglement et de son égoïsme, j'ai au moins trois amies qui louent son amour de la culture et de la musique et sa gentillesse. A leur répéter qu'il n'a aucun sens de la musique, aucun rythme, une culture musicale de paysan, qu'il ne connait aucun écrivain, ni philosophe et que son activité favorite est la critique, amère et agressive, je passe pour une mégère débordante de rancoeur.

Mais qu'il serait doux de me construire un monde où je vivrais dans cette image de mon père... J'évoquerai sa passion pour la musique (inopérationnelle, le malheureux massacre les airs qu'ils s'acharne à jouer, mais bien réelle et sincère pourtant), son goût pour les dictionnaires, et le fait qu'il est capable de s'immerger des heures durant dans des lectures mystérieuses dont il ressort les yeux brillants, avec des commentaires enthousiastes qui ennuient tout le monde mais le font passer pour un doux passionné. J'ai tendance à le rendre lourdement responsable de certaines situations familiales, tant il est aveugle à ce qui se passe autour de lui et découvre avec 20 ans de retard des choses que n'importe qui, selon moi, aurait vues avant.

Mais somme toute, j'enrage (comme le Shtroumpf grognon) alors que tout le monde s'en moque. Dernièrement, relativement à certains évènements, j'ai décidé de prendre l'air enthousiaste et détaché, comme si je trouvais tout formidable et génial et super et extra. Résultat, tout le monde est de bonne humeur. Alors que mon antérieure lucidité ennuyait tout le monde. La famille adore les apparences. Et à ce petit jeu, en réalité, je peux être beaucoup plus forte qu'on ne croit.

On me dirait bien loin de Personne ; pourtant, je suis dedans. j'ai tellement été impressionnée par le récit sans rancoeur de l'auteur. Est-ce une posture intellectuelle, littéraire ? Est-ce que, comme dirait mon amie qui n'est plus mon amie, l'important c'est l'amour et l'auteur s'est sentie "aimée" par ce père et hop, ça suffit ? Il me semble que si j'avais écrit un roman de ce type, j'aurais multiplié les plaintes, les récits rancuniers, furieux, les reproches. J'aurais cherché à dépecer les gens, à exhumer leurs défauts, et à me gargariser de rage. Mon amie Angèle me dirait que je me ferme à l'amour et aux autres et elle aurait raison, mais que m'importe.

Personne est un très beau texte ; et je déplore de parler trop de moi.


Note : si j'avais été Chateaubriand, avec mon père qui va et vient dans le salon, je l'aurais surement détesté ; je réalise en ce moment que cette posture rageuse, héritée, peut-être mal, de la psychanalyse, les parents qui font du mal, etc, pose l'enfant en victime, obligée de surcroit, et manque horriblement d'élégance. A exprimer sa colère et sa douleur, on se libère peut-être, mais sans panache.

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